La littérature classique nous fait-elle devenir des lectrices & lecteurs difficiles ?
Lire un classique, c’est plus qu’ouvrir un livre : c’est une invitation. C’est s’asseoir, un café à la main, avec Virginia Woolf, Victor Hugo ou Dostoïevski, et leur laisser poser des questions.
Ces œuvres nous demandent du temps, de l’attention, parfois même de l’audace. Mais elles nous offrent en retour une richesse rare : une plongée dans la profondeur humaine.
Et pourtant, lire un classique n’est pas anodin. Cela modifie subtilement quelque chose en nous. Le regard qu’on porte sur les histoires, la manière dont on les écoute, même nos attentes envers ce que l’on choisit de lire. Les classiques nous transforment-ils en lecteurs et lectrices plus exigeants ? Ou nous apprennent-ils simplement à lire autrement, à lire avec une conscience plus éveillée ?
1. Lire en profondeur, une école d’exigence
Ce qui frappe lorsqu’on ouvre un classique, c’est cette densité dans l’écriture, une richesse d’idées qui demandent qu’on prenne le temps de goûter chaque mot. Quand je lis un classique, je ne peux m'empêcher de vouloir en faire quelque chose aussi à moi, alors j'ai passé le pas à force d'en lire d'annoter, de souligner, de prendre des notes pour digérer les propos, une citation. C'est un dialogue qui prend alors une dimension encore plus profonde.
Dans un monde où les romans contemporains promettent souvent une lecture fluide et accessible, les classiques nous entraînent dans une autre danse. Chaque phrase est une promesse d’exploration : comprendre une métaphore cachée dans un passage de Madame Bovary ou deviner la subtilité des non-dits dans un roman de Jane Austen devient un exercice intellectuel presque jubilatoire.
Cette profondeur nous forme. Elle nous apprend à chercher non seulement une intrigue, mais une résonance, un dialogue intérieur. Nous devenons attentifs aux nuances, aux émotions entre les lignes, et cette sensibilité rejaillit sur toutes nos lectures.
2. Une mémoire littéraire exigeante
L’expérience d’un classique ne s’efface jamais vraiment. Lorsque j’ai refermé l'Odyssée, La faute de l'abbé Mouret ou encore La Cité des dames, une impression indélébile s’est inscrite en moi.
Nous construisons, sans le vouloir, une mémoire littéraire. Et avec elle, des attentes. Un livre dont les personnages manquent de profondeur ou dont le style se contente du minimum ne nous satisfait plus autant. La comparaison, bien qu’inconsciente, est inévitable. Les classiques nous rappellent que la littérature peut être un espace d’exploration vertigineux, et nous avons du mal à accepter moins.
Cela ne signifie pas que nous rejetons les romans contemporains ou plus légers, mais il y a une quête qui s’installe. Nous voulons être surpris, touchés ou même bouleversés. Tout ce qui semble trop simple ou trop prévisible nous échappe.
3. L’ouverture à d’autres formes
Pourtant, il y a un paradoxe. Aimer les classiques ne nous enferme pas toujours dans une tour d’ivoire littéraire. Au contraire, ces œuvres nous préparent souvent à accueillir des formes nouvelles. Des romans plus contemporains peuvent nous apporter, ou d'autres formes comme des essais saisissants comme ceux qui ont pris vie sous la plume de Mona Chollet par exemple.
Les classiques nous ouvrent à la diversité parce qu’ils portent en eux une incroyable variété de styles et de regards sur le monde. Lire Shakespeare, c’est se laisser emporter par la richesse de ses mots ; lire Zola, c’est s’immerger dans des descriptions puissantes et vibrantes de réalisme. Cette richesse nous apprend à être curieux, à découvrir des œuvres modernes qui, à leur façon, prolongent et réinterprètent cet héritage intemporel.
4. Éviter le piège du snobisme
Mais il y a un danger : celui de penser que les classiques sont la seule forme légitime de grande littérature. L’étiquette de “lecteur élitiste” colle parfois à la peau de ceux qui les chérissent. Pourtant, les classiques ne devraient pas être un prétexte pour mépriser les autres genres.
La vraie leçon que ces œuvres nous transmettent est celle de la résonance. Une bonne lecture, qu’il s’agisse d’une tragédie grecque ou d’un roman graphique contemporain, doit toucher quelque chose en nous. Elle peut être simple ou complexe, tant qu’elle éveille une émotion, une réflexion.
Loin d’un outil d’exclusion, les classiques peuvent être une invitation à élargir notre horizon littéraire. Ils nous rappellent que la littérature est une langue universelle, capable de traverser les époques et les formes.
Alors, la littérature classique nous rend-elle exigeants ? Oui, mais pas au sens restrictif du terme. Elle ne nous enferme pas dans des cadres rigides, mais nous invite à aller plus loin, à dépasser la surface des mots pour percevoir ce que les histoires murmurent dans leurs silences.
C’est là, sans doute, la véritable richesse des classiques : ils éveillent en nous une soif inépuisable de comprendre, nous transformant en explorateurs du temps et des styles. Chaque ouvrage devient une rencontre unique, une clé pour déchiffrer le monde, et une opportunité de mieux nous connaître, nous-mêmes.
Lire les classiques, c’est finalement ouvrir grand son esprit et laisser son cœur s’imprégner de leur sagesse intemporelle.